dimanche 6 juillet 2014

La lettre d’UBS Belgium pour «museler» un témoin encombrant

UBS Belgium a tenté de faire annuler, vendredi, la conférence de Stéphanie Gibaud (ex-UBS France) à la Bourse de Bruxelles. (c) Belga
Le document que nous publions révèle que les avocats de la banque UBS Belgium, au centre d’une instruction judiciaire à Bruxelles, ont tenté de faire annuler une conférence, vendredi à la Bourse de Bruxelles, donnée par une ancienne salariée d’UBS France auteure d’un livre choc.

En invitant une ancienne salariée d’UBS France à s’exprimer lors de son université d’été, organisée du 2 au 4 juillet à la Bourse de Bruxelles, la discrète Société française des traducteurs (SFT) était à mille lieues d’imaginer qu’elle allait faire l’objet de pressions appuyées émanant de la banque UBS Belgium.

La Française Stéphanie Gibaud, auteure de La femme qui en savait vraiment trop (Le Cherche Midi, 2014), a bien failli devoir annuler sa conférence programmée le vendredi 4 juillet en fin de matinée au Palais de la Bourse de Bruxelles. Une intervention basée sur son livre-témoignage relatant ses douze années en tant que responsable Communication & Marketing événementiel au sein d’UBS France.

«Si elle persiste…»

Dans une lettre évoquée par Mediapart et la Radio télévision suisse (RTS), datée du 30 juin mais envoyée le mercredi 2 juillet à la SFT, le cabinet d’avocats Allen & Overy, qui représente UBS Belgium, met «en demeure» la SFT «de ne pas offrir un podium à Mme Gibaud pour lancer des accusations infondées à UBS [sic]

Et la banque de préciser ses menaces: «Si elle persiste dans sa démarche de vouloir participer à votre conférence, nous ne manquerons pas de relever chacune des affirmations mensongères qu’elle pourrait prononcer durant cette conférence et donnerons immédiatement les suites judiciaires qui s’imposeraient alors.»



UBS Belgium craint visiblement que Stéphanie Gibaud fasse des révélations susceptibles d’alimenter l’instruction judiciaire en cours à Bruxelles: «S’agissant d’UBS en Belgique, Mme Gibaud n’a strictement aucune information ni compétence pour s’exprimer sur ses activités passées et actuelles puisque elle n’a jamais été salariée de cette entreprise.»

Entendue comme témoin en août?

Comme M… Belgique l’avait révélé dans son édition du 30 mai, l’antenne belge du géant suisse de la gestion de fortune est au cœur d’une instruction judiciaire ouverte à Bruxelles pour blanchiment, fraude fiscale, organisation criminelle et exercice illégal de la profession d’intermédiaire financier en Belgique. Une enquête menée sous la houlette du juge Michel Claise, spécialiste de la criminalité en col blanc.

Selon nos informations, les enquêteurs belges s’intéressent de près au profil de Stéphanie Gibaud et pourraient l’entendre comme témoin dans les semaines qui viennent. En organisant de nombreux «événements» culturels ou sportifs pour UBS France, elle a régulièrement été en contact avec ses homologues et des chargés d’affaires étrangers. La dimension internationale de son travail, couplée aux nombreux documents internes qu’elle a conservés, pourrait éclairer utilement l’enquête judiciaire bruxelloise.

Médias interdits

Si elle n’a pas eu l’effet escompté, à savoir l’annulation pure et simple de la conférence de Stéphanie Gibaud, la lettre des avocats d’UBS a par contre eu un impact bien concret sur la publicité de cette conférence. Elle ne fut strictement accessible qu’aux seuls membres de la Société française des traducteurs (SFT). Les journalistes sont subitement devenus persona non grata, alors que Stéphanie Gibaud fait actuellement la promotion de son livre et que cette conférence représentait son premier passage en Belgique.

Chris Durban, responsable de la formation pour la SFT, n’a pas souhaité réagir au-delà d’un communiqué aussi bref que laconique, visiblement rédigé par le service juridique de la SFT: «L’événement que nous organisons n’est pas une conférence ouverte au grand public mais un séminaire destiné à la formation et l’information de traducteurs financiers spécialisés ; Mme Gibaud est une intervenante parmi dix-huit autres, l’intitulé de son exposé étant “Les coulisses de l’évasion fiscale en Suisse”. Nous sommes étrangers au litige entre Mme Gibaud et son ancien employeur.»

Une mystérieuse plainte

L’avocat Joost Everaert, qui signe la missive pour le compte d’UBS Belgium, poursuit: «Mme Gibaud a, à de nombreuses reprises, tenu des propos diffamatoires à l’encontre du groupe UBS, notamment dans le livre “La femme qui en savait vraiment trop” qu’elle a écrit. Comme vous le savez probablement, UBS a été obligée d’engager des poursuites contre Mme Gibaud et son éditeur.»

Etrangement, ni Stéphanie Gibaud, ni son éditeur Le Cherche Midi, et encore moins leurs avocats, ne sont au courant d’une quelconque procédure judiciaire en diffamation contre le livre, en France ou ailleurs. Aucune citation directe n’a été reçue endéans le délai légal de trois mois depuis la date de publication du livre, début février.

Selon nos informations, le département juridique des éditions Le Cherche Midi vérifiera dans les prochains jours si une plainte pénale avec constitution de partie civile a été déposée à Paris par UBS France, ce qui pourrait expliquer que les principaux intéressés ignorent l’existence d’une procédure judiciaire à leur encontre tant que le parquet ne les en a informés.

Des menaces avant publication

En novembre 2013, plusieurs mois avant la sortie du livre de Stéphanie Gibaud, la direction d’UBS France avait déjà menacé son éditeur de poursuites: «Nous vous alertons sur les conséquences que pourrait avoir la publication d’un tel livre s’il portait des accusations sans fondement, relatait des faits inexacts, citait le nom de collaborateurs ou anciens collaborateurs d’UBS ou, en violation du secret professionnel des banques, faisait état de l’identité de clients», écrivait alors Jean Frédéric de Leusse, le patron d’UBS France. «Si tel devait être le cas, notre établissement n’hésiterait pas à mener les actions de droit qui s’offrent à lui.»

David Leloup

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